En fondant Hitasura, j’ai décidé de construire un espace de liberté. Des années ayant passé, pendant lesquelles notre ferveur est demeurée intacte, années de recherches, d’expérimentations, de pratique inlassable, une maturité arrive, qui fait que voici précisément le moment venu d’enregistrer, plus que jamais. Les difficultés un peu trop souvent décrites de l’édition du disque ont conduit les éditeurs à être de plus en plus prudents, et à faire des choix de plus en plus raisonnables. Or notre vocation, à nous les artistes, est précisément d’être déraisonnables, d’être imprévisibles et d’ainsi faire rêver. De ne jamais suivre les voies rebattues et garanties du mainstream : d’ouvrir au contraire des voies nouvelles.
Si la musique est au centre, et concentrera une très grande partie de nos soins, le disque en tant qu’objet n’a de sens que si cet objet accompagne vraiment la musique, de la même façon que le travail d’un grand relieur accompagne et introduit la lecture d’un grand texte.
La première fois que j’ai entendu le mot de Hitasura, j’ai senti immédiatement qu’il déployait une notion pour moi de la plus haute importance, touchante, centrale. J’ai d’abord compris qu’il s’agissait d’une version japonaise de l’espagnol duende – autre notion centrale –, qui représentait d’une façon très resserrée et intérieure l’idée de l’intensité brûlante au présent. Et puis j’ai compris que dans Hitasura se trouvait aussi la rectitude, le dévouement à un acte unique, dont l’intensité apparaît parce que l’on s’est vidé l’esprit et le cœur de toute chose inutile. Je ne connais pas de meilleure définition de ce que nous cherchons sans trop pouvoir le dire, à travers la musique.
Je voudrais que ne demeure aucune note qui soit seulement note, aucune note qui ne soit chargée de sens, de couleur, d’émotion. Nous devons repenser tout ce que nous pensons. Oublier tout ce que nous savons, afin de faire naître une nouvelle vie des anciennes formes. Si vraiment nous les respectons et nous les aimons, elles vont apparaître renouvelées. Vivantes et éternelles. Réinventer nos façons de faire, toutes nos techniques de jeu, afin qu’au-delà des notes la musique apparaisse.
Frédérick Haas